Nos impôts : pour qui ? pour quoi faire ? (contre-débat, acte III)

Nous étions une quinzaine réunis jeudi 21 février pour croiser nos points de vue sur un 3ème axe de notre “contre-débat »: la fiscalité. Premier consensus avant même de commencer : la fiscalité, c’est technique, aride. Des tuyaux dans tous les sens qui font entrer l’argent dans les caisses publiques et réciproquement. Beaucoup d’entre nous n’y connaissent pas grand chose. Alors de quoi débattre exactement

Recettes et dépenses, les deux bouts de la tuyauterie

Un premier tour de table fait remonter plusieurs interrogations. Comment se fait-il que le Grand Débat soit axé sur les « économies » à faire dans les services publics alors qu’on constate par ailleurs que l’État renonce à beaucoup de rentrées d’argent? A titre d’exemples, on évoque les concessions d’autoroutes (une entreprise privée plutôt qu’un service public gère l’opérationnel et encaisse les recettes), le CICE (crédit d’impôt aux entreprises supposé alléger le coût du travail, dont l’impact sur la création d’emploi est incertain, mais qui prive l’État de 28 milliards de recettes) jusqu’à la récente “flat tax” (qui abaisse l’impôt sur les revenus du capital de 57% à 30% en annulant sa progressivité). On a décidé de profiter du débat pour partager nos connaissances sur ces sujets.

Côté « dépenses », nous sommes nombreux.ses à nous inquiéter de la réduction des services publics. Un des participants travaille dans un bureau d’étude de la SNCF et nous raconte son expérience: plutôt que d’embaucher sur des postes publics et de former les agents pour accomplir le travail nécessaire, les études sont de plus en plus réalisées par des prestataires privés. Selon lui, le prix réel du service que nous payons augmente : non seulement parce que le service en question reste à notre charge même s’il est externalisé, mais aussi parce que la qualité de la prestation diminue énormément.

Beaucoup d’entre nous préféreraient une imposition beaucoup plus importante sur les plus riches. Cela ne serait pas une première dans l’Histoire puisque jusqu’aux années 80, des pays aussi « libéraux » que les Etats-Unis taxaient les hauts revenus avec des taux d’imposition marginale de 80% sur les revenus les plus élevés. En France aujourd’hui, c’est 45 % maximum sur les revenus supérieurs à 150000€. Une participante rappelle que le taux global d’imposition (directe et indirecte) en France tourne autour de 45%, mais il n’est progressif que dans le premier quart des revenus: au-delà, il stagne à 47% et il décroît pour les 10% les plus riches ! Précisément parce que les revenus du capital sont moins taxés que ceux du travail…

Taxer les plus riches?

Alors pourquoi cette solution qui nous paraît « simple » ne fait pas consensus? Un premier niveau de réponse consiste à observer que nous vivons aujourd’hui dans un monde « ouvert », où les fortunes des plus riches sont très mobiles et peuvent échapper à l’impôt. Imposer ces richesses mobiles est vain, si d’autres pays, surtout européens et faciles d’accès, ne le font pas ou pas autant.

Partant de ce constat, on peut alors s’interroger : pourquoi rester dans un tel rapport de force ? Pourquoi accepter un cadre (par exemple européen) qui permet aux plus riches de jouer de la concurrence internationale pour éviter toute imposition nationale? L’un d’entre nous rappelle les progrès en matière de transparence sur « l’évasion fiscale » grâce aux Common Reporting Standards.

On se sent pourtant un peu courts sur les armes, les lois, les protections possibles pour éviter cette concurrence qui nous semble empêcher toute équité fiscale. Un participant doute explicitement qu’une harmonisation fiscale soit possible entre pays européens, tant que certains de nos voisins refusent de renoncer à une part de leur souveraineté en matière d’impôts et que d’autres assument une stratégie de dumping…

Pour peser dans ce rapport de force, faut-il d’abord gagner l’opinion publique? Est-ce vraiment cela qui est déterminant? On n’a pas tranché la question, mais on a échangé quelques idées sur les moyens pour y arriver: changer de vocabulaire (une dépense publique apparaît comme une perte, alors que le mot investissement public sonne plus productif), battre en brèche les représentations sans fondements (comme la fameuse et fumeuse théorie du ruissellement !

Peut-être n’est-ce néanmoins pas si simple de rassembler les 99% contre le top 1%? A titre d’exemple, l’impôt sur les successions qui semble particulièrement légitime dans un système méritocratique, est aussi particulièrement impopulaire. Quand bien même en pratique il ne touche réellement qu’un tiers des ménages.

Reprendre la main

Pour reprendre la main sur l’utilisation de nos impôts et reconnecter les citoyen.ne.s, certain.e.s proposent de relocaliser l’impôt, à une échelle où nos contributions et les dépenses qui en découlent seraient plus contrôlables et visibles. On soulève aussi les limites d’un tel système : ne pas renoncer à la solidarité entre régions riches et pauvres, éviter le clientélisme qui existe aussi à l’échelon local (comme en témoigne une participante sur la base de son expérience du défaut d’investissement dans des quartiers majoritairement immigrés à Rueil-Malmaison).

Autre façon de reprendre le contrôle sur nos contributions : une participante, directrice d’association dans le 91, évoque les dons directs aux associations, partiellement défiscalisés. Regagner une liberté individuelle mais désinvestir les structures collectives ? On rappelle en passant que cette défiscalisation ne peut bénéficier qu’à ceux qui paient déjà l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire environ la moitié la plus riche de la population.

Reprendre de la hauteur

Finalement, on est revenus quelques pas en arrière pour reprendre un peu de hauteur sur les objectifs du système fiscal. Première tension : est-il fait pour atteindre un objectif d’équité (corriger les revenus sur la base du « mérite » ou des besoins) ou d’efficacité (utiliser les impôts pour financer les services publics, le fonctionnement de l’État et stimuler l’économie) ? Concilier tous ces objectifs n’est pas chose aisée…

Un second dilemme se pose à un autre niveau : la fiscalité est souvent présentée comme l’outil correcteur de l’économie de marché capitaliste entièrement libéralisée. Donc on laisse le système « libre » allouer les revenus en comptant que cela génère un maximum de production, et on repasse derrière avec des impôts pour « corriger » les écarts ? Mais si le système produit de lui-même de fortes inégalités, concentrant la richesse économique entre les mains d’un petit nombre, est-ce bien réaliste de penser qu’au moment de taxer et de redistribuer on n’aura pas déjà perdu le pouvoir politique ?
On est loin d’avoir toutes les solutions, mais on continue le débat dès jeudi 14 mars pour aborder un autre sujet à la fois technique et quotidien : l’organisation de l’Etat et des services publics !

Transition écologique : de l’angoisse à l’action ? (Contre-débat – Acte II)

Pour le deuxième jeudi de suite, le Bar commun conduit son « contre-débat » et se consacre cette fois à l’écologie. La moitié de la salle s’engage dans la discussion et cherche à articuler ses engagements individuels avec une transformation collective…

Le tour de table s’est agrandi par rapport à la semaine passée. Nous sommes maintenant plus de 25, mobilisés par les questions écologiques. On trouve, pêle-mêle, des bénévoles de l’association, des habitués du lieu, d’autres qui l’ont découvert lors du débat précédent, certains, qui étaient déjà venus mais juste boire un coup, et quelques jeunes militantes qui ont vu passer l’annonce du débat. Le Bar commun est plein de ressources : on invente le micro « low tech », en prenant comme bâton de parole le petit maillet qui sert à sonner le gong du bar (voir photo) !

Trop facile de culpabiliser les individus !

Par rapport aux questions de citoyenneté de la semaine passée, on se déplace vers des sujets qui sont à la fois plus techniques, plus nouveaux, mais qui supposent là encore de se demander comment l’individu prend sa place dans le collectif. Dès les premiers tours de parole, on voit que se distinguent deux approches de cette difficulté. Là où les uns voient dans les conduites individuelles le ressort fondamental du changement, par l’émulation qu’elles peuvent produire, par l’influence qu’elles peuvent exercer face à l’inaction des institutions, les autres dénoncent, souvent avec colère, les injonctions culpabilisantes qui pèsent sur les individus et qui ont vite fait d’exonérer les États et les grandes entreprises de leur part de responsabilité dans les défis environnementaux.

Une partie du débat se noue sur le rôle de l’entreprise. Si l’activité de Total émet infiniment plus de CO2 que tout ce que je peux dégager, à quoi bon mes efforts ? Mais cette activité de Total, ne dépend-elle pas de ceux qui consomment des produits pétroliers – donc des individus comme moi ? Mais ai-je toujours le choix de ce que je dois consommer, pour aller travailler, pour m’équiper, etc. ? La question du modèle de consommation a dès lors occupé une place centrale, à la rencontre entre les comportements individuels et les normes sociales, les prescriptions et les contraintes dans lesquelles se déroulent nos vies.

Plusieurs d’entre nous témoignent de leurs engagements dans diverses associations (comme Facteur commun, ou la Maison du zéro déchet), dont le but est de retourner contre les institutions la pression qui est aujourd’hui exercée sur les citoyens, en matière de tri, de recyclage et de responsabilité environnementale en général. Pour certains, la bonne échelle d’action est « le collectif » : plus qu’un individu mais moins qu’une institution, de quoi créer du lien, devenir force de conviction et élargir la conscience et les pratiques environnementales, sans être donneur de leçons ni dictateurs.

L’impuissance face à l’ampleur de la tâche

Mais des mots reviennent souvent : « peu d’espoir », « obsession », « urgence », « angoisse »… Ils désignent la coexistence du besoin d’action et du sentiment d’impuissance. On ne sait pas par où commencer. Le rôle du vote est évoqué une seule fois. Le boycott de telle ou telle marque, à peine une ou deux fois. L’une des idées qui se dégage, c’est l’action des individus dans les organisations auxquelles elles participent. Dans les quartiers, déjà, comme le fait le « lobby citoyen » qui veille à l’application du Plan climat parisien dans le 18e arrondissement ; dans les associations bien sûr, mais aussi dans les entreprises et les services dans lesquels chacun travaille.

À l’échelle d’une entreprise de 70 personnes, s’organiser à 4 ou 5 pour inciter tout le monde à utiliser des tasses plutôt que des gobelets en plastique à la machine à café, c’est déjà épargner des quantités importantes de déchets à la planète ! Et s’il y a bien « des gens de chez Total et qui prennent leur vélo pour aller bosser le matin », qui sont donc tiraillés par des contradictions entre leurs convictions et leurs conditions d’existence,  ont-ils un réel pouvoir de transformation ?

Avant qu’on puisse répondre à cette question, nous goûtons collectivement une nouvelle piste de circuit d’approvisionnement pour nos planches végétariennes. Houmous, caviar d’aubergine, feuilles de vignes et falafel… On dirait bien que cette proposition va être validée !

Une fois un peu nourris, nous continuons sur les mêmes bases, en nous demandant tour à tour s’il est possible d’exiger qu’une copropriété installe un bac à compost à côté des poubelles ordinaires, et s’il est plus ou moins facile de renverser le capitalisme ou de sauver la planète malgré lui. Parce qu’on voit bien que la question de l’écologie est immédiatement une question sociale et une question démocratique. Qui décide de la mise en œuvre de politique plus ou moins dangereuses pour le climat, pour notre santé ? Et quels intérêts sont favorisés par ces décisions ?

Communiquer, s’organiser…

On voit de près la réalité des transformations que l’on subit : la réduction du nombre d’insectes, les allergies, l’asthme, etc. Mais ça ne suffit pas à savoir par quel bout prendre le sujet pour passer à l’action. Dans l’ensemble, on est quand même plutôt d’accord pour dire que les messages de mobilisation uniquement centrés sur le catastrophisme, sur la peur, qui en général servent à plaider pour des restrictions individuelles, ne sont pas forcément les meilleurs, les plus efficaces. Il faut qu’on puisse à la fois mesurer les effets de chacun de nos actes, et qu’on puisse se représenter ce qu’il y a à gagner, concrètement, avec une réelle transition – et pas seulement ce à quoi nous devrons renoncer.

Ce caractère « enviable » de la transition écologique serait nécessaire pour que des collectifs s’engagent plus fortement encore et parviennent à faire évoluer les normes, tant au niveaux des pratiques qu’au niveau des règles contraignantes. C’est l’idée, défendue par une participante, d’une implication des salariés des entreprises dans une nouvelle forme de syndicalisme tourné vers la responsabilité environnementale. C’est aussi la pression populaire qui devra faire que les émissions de CO2 des catégories les plus favorisées (par exemple le kérosène des avions) soit plus lourdement taxées que celles des moins fortunés (par exemple les carburants pour les voitures diesel), alors que c’est aujourd’hui l’inverse, et que cela peut contribuer à un rejet de l’écologie par une partie de la population.

Une controverse s’engage sur le « chiffrage » de l’impact climatique – des « externalités négatives », comme disent les économistes – de certaines activités (ou de l’impact positif des actions pour lutter contre le réchauffement).  Là où certains y voient un outil indispensable pour responsabiliser les acteurs du monde marchand, d’autres invitent à sortir de cette logique, à refuser la marchandisation du climat et à mettre davantage en avant les modes d’échange non-marchands. Ces échanges occupent déjà une part importante, souvent négligée, dans nos vies, et on doit montrer qu’ils sont essentiels au « bien vivre » que l’on recherche tous – en un mot, préférer la qualité à la quantité.

Interdire ou détruire la publicité ?

Mais pourquoi préfère-t-on, aujourd’hui, la quantité ? C’est en partie parce que nos désirs sont façonnés par la publicité, qui est devenue omniprésente. En plusieurs décennies, elle a fait de nous des « ultraconsommateurs », et a ringardisé des pratiques classiques, comme fabriquer soi-même sa lessive, prendre du temps à des activités non-marchandes qui ne supposent ni emballage, ni déchets.

Il faudrait remettre ces pratiques au goût du jour – on pourrait par exemple exiger le retour aux emballages consignés. Ce que suggérait l’une d’entre nous qui avait lu l’article où Grégoire Chamayou, dans Le Monde diplomatique, retraçait l’histoire de l’abandon de ce système par les industriels de la boisson. Alors faut-il aller jusqu’à interdire la publicité, comme le suggérait dès les années 1970 le philosophe écologiste André Gorz ? Pourquoi pas. Et casser les écrans de pub dans le métro ? En tous cas personne autour de la table ne condamne cette pratique…

Bien sûr, chacun est conscient de la dépendance relative dans laquelle nous sommes à l’égard des objets que la pub nous a fait désirer. « J’adore mon téléphone », avoue l’un d’entre nous, « même si, je sais bien, les terres rares, tout ça ». Ce n’est donc pas qu’un problème d’information. On a souvent l’impression qu’on ne peut pas faire autrement. Qu’il faut aller vite. Parce que le monde va vite. Et donc qu’il faut prendre les raccourcis et accepter les accélérations que les objets techniques du commerce nous promettent. Mais cela en vaut-il la peine ? C’est dans « ce monde », tel qu’il va – mal – aujourd’hui, que nous nous sentons obligés d’aller vite. Et sans doute que « l’écologie n’est pas possible dans le monde de la rapidité », comme le résume une des participantes.

Ralentir, est-ce revenir en arrière ?

Alors on a envie de ralentir. Mais cela veut-il dire revenir à un mode de vie qui a prévalu par le passé. Après être passée de ce côté-ci du comptoir pour nous rejoindre en cours de débat, la bénévole qui était au service un peu plus tôt nous rappelle que la dégradation de l’environnement est une tendance lourde de l’histoire de l’humanité, qui n’a fait que s’accélérer considérablement ces dernières décennies du fait de la technique. Il faudrait donc inventer une nouvelle manière de vivre sur terre, de produire et de consommer, plutôt que de chercher à revenir dans un passé fantasmé.

Certains essaient d’inventer ces nouveaux modes de vie, mais cela ne va pas toujours sans incompréhension, y compris dans un entourage familial, amical, professionnel… Là où le global rejoint l’intime. Se passer de viande, de smartphone, de voiture, n’est-ce pas suggérer, plus ou moins subtilement, à ceux qui ne font pas ce choix, qu’ils sont irresponsables, inconscients, qu’ils ne vivent pas à la hauteur de l’histoire ? Et même en vantant les bienfaits qu’on retire soi-même de son engagement écologique, ne risque-t-on pas de renvoyer une image prétentieuse ? Plusieurs d’entre nous témoignent en tous cas de leurs difficultés à échanger avec leurs proches de ces choix qui leur tiennent à cœur, et du rejet dont ils font parfois l’objet.

Faut-il du coup changer d’amis ? Rompre avec une famille qui ne comprend pas ? Non, bien sûr ; l’idée est d’assumer, d’apprendre à dire sans blesser. De comprendre qu’on a mis du temps à passer de la première sensibilisation à l’engagement, et accompagner chacun dans cette démarche. Surtout, ne pas se considérer comme une « élite éclairée », mais se sentir favorisé non seulement d’avoir acquis une attention à ces enjeux et de pouvoir agir sur certains leviers.

« Faire notre part » ?

Quand vient l’heure de clore la discussion, plusieurs participants soulignent qu’ils ont apprécié ce moment, qui les aide à garder espoir, motivation et optimisme. Mais nous terminons néanmoins sur un désaccord quant à la légende du colibri. Elle est invoquée par certains pour rappeler que nous devrions, avant toute chose « faire notre part ». Mais d’autres rappellent que, si seuls des colibris font leur part et s’en contentent, alors la forêt brûlera à coup sûr – d’où la nécessité d’actions collectives, organisées, impliquant aussi leur part d’adversité…

Ces dimensions collectives, institutionnelles et conflictuelles, il en sera nécessairement question lors de notre prochaine séance, qui sera consacrée à la fiscalité, le jeudi 21 février prochain !

 

Le contre-débat du Bar commun – Acte I

On était douze, jeudi 7 février, dans un coin du Bar commun, pour lancer notre « contre-débat » ! On s’est notamment demandé ce que cela voulait dire, pour chacun d’entre nous « être citoyen ». Retour sur deux heures de discussion animée. Et ça ne fait que commencer…

Le Bar commun est un lieu de débats, et il paraît que c’est la saison… Mais, au vu des questions, fermées et biaisées, que le Gouvernement a posées aux Français, on ne voulait pas s’inscrire dans le « grand débat national ». Pour autant, après les soirées consacrées au mouvement des gilets jaunes, nous voulions tester notre capacité à nous saisir de façon critique d’un enjeu d’actualité.

On s’est donc retrouvés à douze, dans un coin du bar, de tous les âges, de tous les sexes, et de diverses origines. Il fallait voir la tête de Myriam*, née en Tunisie et de Ferhat, élevé en Iran, quand Carolina a dit que nous étions « tous blancs ! » autour de la table. Sur cette table justement, quelques demis, quelques verres de vin rouge ou de jus d’ananas, du pain et du fromage.

Alors au départ, même si Kristina « garde l’espoir qu’il sorte quelque chose » du grand débat, la plupart d’entre nous expriment, au mieux des points d’interrogation, le plus souvent une défiance radicale à l’égard de la démarche : « C’est pas le grand débat qui va changer les choses », résume Delphine, retraitée nostalgique des barricades de 68. Nadine, elle aussi à la retraite, souligne que « les contributions seront traitées avec du big data, et les choses intéressantes ne sortiront pas ». Et Julien, qui n’a pas voulu apporter son concours à l’opération considère qu’« on n’a aucune garantie sur le traitement qui en sera fait ».

« Maintenant ça se joue dans les bars »

Carolina, qui se dit « très sceptique », pense que les discussions politiques se jouent maintenant « dans les bars » – ça tombe bien ! Quant à Soraya, qui a « enfilé un gilet jaune pour avoir une place », elle veut que les gens puissent se parler partout, à une époque où on n’ose plus le faire, ni au boulot, ni même dans son couple.

Parler de quoi ? De citoyenneté et de démocratie pour commencer la soirée. C’est un des thèmes que le « grand débat » propose de traiter, mais en l’enfermant dans des points de mécanique institutionnelle qui ne retiennent pas, pour l’essentiel, l’attention de notre table. D’abord : c’est quoi être citoyen ? voter ? débattre ? manifester ? Myriam, qui n’a pas la nationalité française, demande à la table sur quels critères on peut ou non se considérer comme citoyen. C’est le moment que choisit Nourredine, qui était resté à l’écart, pour nous offrir un plateau de pâtisseries algériennes qui venaient de faire 2000 kilomètres – nous leur accordons aussitôt droit de cité parmi nous.

Pour Sam, les gilets jaunes, c’est le réveil des gens qui sentent qu’on « leur bouffe la carotte » : on prend conscience peu à peu qu’il va falloir changer de société, notamment face aux révolutions technologiques, comme la voiture autonome, qui va bouleverser le monde du travail dans le transport, la livraison. Sur quoi Sophie interpelle la tablée : « comment on fait ? comment on s’approprie ces enjeux collectivement ? ».

« On n’attend plus rien de ces institutions »

Objectivement, on a du mal à avancer sur la définition de la citoyenneté. Partir des frustrations qu’on éprouve ? Carolina et Soraya, 30 ans chacune, n’en sont déjà plus là : « la frustration, c’est quand on espère quelque chose, quand on y croit encore ; là on n’attend plus rien de ces institutions ! ». Donc il n’est plus question de dialogue avec le pouvoir – et pas non plus de débat, seulement de combat. « Ce débat, c’est comme un édredon pour étouffer le combat qui se jouait avant, avec les gilets jaunes », résume Daniel. « Avec le débat en réponse aux gilets jaunes, le Gouvernement se fout de notre gueule », retraduit Carolina, qui évoque les expériences de lien et de solidarité qu’elle a vécues, sous les lacrymos, les derniers samedis.

On pourrait croire à une fracture générationnelle autour de la table. Mais « nous les vieux, on en a gros », dit Annette, l’amie de Nadine, qui rappelle d’ailleurs qu’elle voyait peu de jeunes au cours des manifestations syndicales des 25 dernières années… Cela dit, quand on se demande ce qui devrait changer pour qu’on puisse se sentir davantage citoyens, les uns évoquent des aménagements dans les modalités de désignation des élus, d’autres de nouvelles manières d’articuler démocratie représentative, démocratie délibérative et démocratie directe… Tous, nous partons à la recherche d’un « autre système », sans qu’il s’impose avec clarté, sans qu’émerge non plus une voie pour y parvenir – jusqu’où faut-il, pour commencer, détruire celui qui prévaut aujourd’hui, et structurer ce qui se crée ?

Et maintenant, on fait quoi ?

Ce qui nous unit, au terme de deux heures de discussion, c’est une envie de se connaître – de comprendre les expériences de vie qu’on n’a pas soi-même, d’échanger pour arriver à parler de la même chose, à savoir de quoi on parle, de se rendre plus intelligents ensemble…

Alors on continue. Et déjà on remet ça jeudi prochain, le 14 février à partir de 20h. On partira des enjeux de transition énergétique, mais on peut déjà parier qu’il sera encore question de citoyenneté et de démocratie.

 

* Comme on n’a pas fait valider le compte rendu verbatim par tous les participants, certains prénoms ont été changés…

Magie de la lecture, avec Timothée de Fombelle

Dans l’après-midi du dimanche 11 février, Timothée de Fombelle, auteur jeunesse reconnu en France et à l’étranger, nous a fait l’amitié d’un moment fort.

Lecture de Timothée de Fombelle au Bar commun
L’auteur de livres de jeunesse Timothée de Fombelle face aux enfants qui l’écoutent au Bar commun

Devant une salle comble et attentive, il a lu des extraits de plusieurs de ses romans : Tobie Lolness, l’histoire d’un peuple qui vit dans un arbre, petit par la taille mais grand par l’esprit ; Victoria rêve, qui « voulait une vie d’aventure une vie folle plus grande qu’elle » ; et le début émouvant de Vango, héros projeté malgré lui dans les turbulences des années 40

Pour terminer, il a partagé la préface qu’il a rédigée pour l’ouvrage récemment consacré à la littérature jeunesse par Guillaume Gallienne.

Un merveilleux moment d’écoute et de partage littéraire qui s’est terminé par un temps d’échange informel avec de jeunes lectrices et lecteurs enthousiastes… qui peut-être ont une envie d’écriture ?

Un moment magique qui donne envie d’écouter d’autres raconteurs et raconteuses d’histoires. Rendez-vous à suivre… On a des idées !

(par Anne Bouteloup)

Le commun dans nos vies ? On en parle

Si vous avez dans vos fréquentations quelqu’un qui participe à une aventure qui a partie liée à l’idée de « commun », ça n’a pas pu vous échapper : il ou elle en parle tout le temps !

Qu’on quitte son boulot classique pour monter une coopérative ou qu’on consacre une part énorme de son temps libre sur des projets associatifs collaboratifs, ça change nos vies ; celle de chacune et chacun, et celle des personnes qui nous entourent.

C’est ce que se sont dit, jeudi 23 novembre au Bar commun, Odile, Vincent, Alexandre, Laurine, Sylvain, Thomas, Nathalie, Olivier et quelques autres, qui étaient réunis pour débattre de la place du commun dans nos vies.

Engagés dans Coopcycle, à la Louve, chez Alterbâtir, chez Sharers and Workers ou encore au Bar commun, ils étaient invités à répondre à trois questions : comment le commun est-il entré dans ta vie ? qu’est-ce qu’il y a changé ? et qu’est-ce qu’il a changé dans la vie des personnes qui t’entourent ?

En plus ou à la place du travail « privé » ?

Ce qui était frappant, c’était d’abord l’importance du lien à l’activité professionnelle : le commun surgit presque toujours par contraste avec un environnement de travail ordinaire qui, s’il apporte à certains une satisfaction, donne néanmoins envie d’en sortir, soit partiellement en s’engageant comme bénévole, soit totalement en se reconvertissant, par exemple dans une coopérative.

Second point sur lequel beaucoup ont insisté : l’engagement dans le commun change pas mal le cercle des gens qu’on fréquente. Et ça tombe bien, c’est exactement ce que vise le projet du Bar ! En faisant des choses ensemble, on noue une relation très intime et très directe avec des personnes qu’on n’aurait sans doute jamais croisées autrement.

Enfin, le commun, on le vit, on le fait… mais aussi, on y pense et on en parle. Une fois embarqué dans une histoire de communs, c’est l’ensemble des rapports qu’on a avec le reste du monde (production, consommation…) qu’on est amenés à relire, pour se demander si chacun de nos gestes produit de la mise en commun ou de l’appropriation exclusive.

Beaucoup de questions à poursuivre au sein du Bar commun, comme toujours en théorie et en pratique à la fois. On vous donne rendez-vous pour de nombreux échanges de ce genre, principalement les jeudis soirs, qu’on organisera sous forme de cycle pour consolider ensemble ce qu’on apprend en s’écoutant.